Les Jeux olympiques sont mondialement mobiles. Maintenant, le mouvement anti-olympique l’est aussi.

Compte rendu des rencontres internationales :


Articles écrit (en anglais) par Jules Boykoff dans « Jacobin.com »

Traduit par le collectif.

Les villes hôtes des Jeux olympiques connaissent une montée de l’embourgeoisement, de la surveillance policière et de la destruction de l’environnement. Les militants anti-olympiques ont organisé leur deuxième sommet transnational à Paris le week-end dernier pour mettre un terme aux destructions des Jeux olympiques.

« Les Jeux olympiques sont toxiques. Nos objectifs sont d’arrêter les Jeux olympiques et d’abolir le Comité international olympique », a déclaré C.P. Robertson du groupe anti-olympique NOlympics LA (de Los Angels). Elle a été suivie par Satoko Itani, une universitaire et militante japonaise, qui a souligné que « la lutte contre les Jeux olympiques est un travail difficile ».

Ils se sont exprimés à Paris lors de la session finale du deuxième sommet international anti-olympique, qui a rassemblé des groupes anti-olympiques des anciennes villes olympiques, des futurs hôtes et des villes candidates à l’organisation des jeux.

Les militants venus du monde entier pour assister à l’événement à l’Université de Paris sont aussi celles et ceux qui sont descendus dans la rue pour protester contre les Jeux olympiques à Londres, Rio de Janeiro, Tokyo, Los Angeles, Barcelone-Pyrénées, Hambourg et Paris même. La réunion représentait la gauche de la résistance anti-olympique. Les sessions ont porté sur l’écoblanchiment, le maintien de l’ordre et la surveillance, mais aussi des retours de terrain des militants vivant ou travaillant dans les villes hôtes des Jeux. Le sommet était organisé par Saccage, un collectif militant basé en Seine-Saint-Denis, une banlieue nord de Paris, qui lutte pour la défense des espaces publics malmenés par les Jeux olympiques d’été de Paris en 2024.

Le Comité international olympique (CIO) évoluant sur le monde entier, les militants tentent de reprendre à leur compte cette approche transnationale.

Au lieu de rassembler de manière temporaire des groupes qui déjà luttent contre la militarisation de la police, l’embourgeoisement et l’écoblanchiment dans les villes choisies pour accueillir les JO, puis les laisser revenir à leurs luttes militantes après les jeux, les organisateurs du sommet tentent de créer un mouvement anti-olympique qui puisse se déplacer d’un site à l’autre. En d’autres termes, ces militants tentent de forger un mouvement de mouvements qui soit stable plutôt qu’un moment de mouvements travaillant à court terme. Le premier sommet mondial anti-olympique a eu lieu à Tokyo en 2019.

Du tourbillon multilingue de français, d’anglais, d’espagnol et de japonais, trois thèmes clés ont émergé. Premièrement, les Jeux olympiques peuvent servir de point d’accroche pour les gens qui travaillent et permettre la radicalisation des points de vues politiques. La semaine précédant le sommet, Maria Escobet et Bernat Lavaquiol ont aidé à organiser une mobilisation de plus de cinq mille personnes contre la candidature de Barcelone-Pyrénées aux Jeux olympiques d’hiver de 2030. Lavaquiol a déclaré à Jacobin que leur groupe « utilisait la lutte contre les Jeux olympiques pour catalyser des discussions publiques autour d’idées plus importantes comme l’anticapitalisme ». Escobet a ajouté que la candidature olympique leur donnait l’occasion de relier des vallées géographiquement isolées dans les Pyrénées autour de questions importantes pour leur vie quotidienne.

Un deuxième thème est que le CIO, basé en Suisse choisissant les pays hôtes et supervisant les Jeux, est un allié utile. Le CIO a fait preuve d’un cynisme presque caricatural en organisant les Jeux de 2020 à Tokyo, alors que 83 % de la population japonaise s’y opposait, puis en supervisant les Jeux de 2022 à Pékin, alors que la Chine commet des violations extrêmes des droits humains à l’encontre des Ouïgours de la province du Xinjiang, des Tibétains et des militants pour la démocratie à Hong Kong. Frédéric Viale, membre du groupe anti-olympique NON aux JO 2024 à Paris, a qualifié le Comité international olympique de « trou noir de cupidité, de corruption et d’irresponsabilité ». Le CIO illustre parfaitement les pratiques d’accaparement des élites, que l’universitaire Olúfẹ́mi O. Táíwò décrit comme étant réalisée par « les quelques privilégiés orientant les ressources et les institutions pourtant là pour servir le plus grand nombre et qui sont détournées pour leurs propres intérêts et leurs objectifs étroits ». C’est ainsi que « les personnes socialement favorisées ont tendance à prendre le contrôle des ressources destinés à tous ». Lorsque les gens ordinaires découvrent le mode de fonctionnement du CIO, leur vision des Jeux s’en trouve altérée.

Un troisième thème est que les Jeux olympiques sont l’occasion de mettre en place un état d’exception qui permet la généralisation de l’utilisation des technologies de surveillance, sans réel contrôle public. Les Jeux olympiques de Tokyo 2020 ont ouvert la voie à la normalisation de la technologie de reconnaissance faciale. Casey Wasserman, le président des Jeux d’été de Los Angeles 2028, a déclaré qu’au moment où les Jeux olympiques commenceront, la billetterie sera obsolète : « Tout sera à la reconnaissance faciale, vous entrerez directement dans le bâtiment, et il n’y aura plus de files d’attente. » Ulf Treger de NOlympia Hambourg – le groupe anti-olympique en Allemagne qui a remporté le référendum qui a mis fin à la candidature de la ville – a mis en garde contre Alibaba, partenaire mondial du CIO, et qui est la société chinoise qui fournit la technologie du cloud pour les Jeux olympiques : elle pourrait générer des problèmes inquiétants dans domaine de vie privée. Même un conseiller du ministère français des affaires numériques a concédé : « Il y a un problème avec Alibaba. »

Le militantisme anti-olympique monte en ce XXIe siècle mais le CIO n’est pas resté inactif. Récemment, les responsables olympiques ont pris des décisions nouvelles afin d’éviter les contestations, par exemple en désignant les villes hôtes onze ans à l’avance – comme ce fut le cas pour Los Angeles 2028 et Brisbane 2032 – bien avant que le militantisme anti-olympique ne puisse gagner l’opinion publique et que des référendums ne puissent être organisés. Ces mesures sapent la pratique démocratique, une caractéristique clé des pratiques « d’accaparement des élites » dénoncées par Táíwò. Les organisateurs des Jeux Olympiques de Paris 2024 affirment que leurs jeux sont « pour le peuple », ce qui a été diffusé avec empressement dans les médias grand public. La double débâcle de Tokyo et de Pékin a ouvert une brèche aux promoteurs olympiques de Paris qui promettent que leurs Jeux seront différents.

Pour les militants anti-olympiques, des défis importants restent à relever. Les syndicats, qui semblent être des alliés naturels, ont été difficiles à rallier à la cause anti-olympique. De nombreux syndicats de la construction et de l’hôtellerie considèrent les jeux avec scepticisme mais espèrent capter une partie de l’argent qui circule dans le système olympique. Il s’agit d’une situation extrême de David contre Goliath : le CIO détient 5,6 milliards de dollars d’actifs totaux, selon son dernier rapport annuel, et a encaissé la somme énorme de 7,6 milliards de dollars de revenus entre 2017 et 2021. Ces sommes doivent être comparées avec le peu de moyens des organisateurs du sommet anti-jeux de Paris qui se sont débrouillés avec les moyens du bord, peu d’argent et beaucoup de bonne volonté.

Malgré les avantages de leurs adversaires, les militants anti-jeux de Paris jurent d’aller de l’avant. « Bien sûr, le CIO a plus d’argent que nous », reconnaît la militante parisienne Natsuko Sasaki, l’un des principaux moteurs du sommet anti-olympique, « mais nous sommes du bon côté de l’histoire. » Fleuves, un organisateur de Saccage, m’a dit : « Nous n’allons pas empêcher les Jeux olympiques à Paris, mais nous continuerons à nous battre pour que les Jeux olympiques ne nuisent pas à d’autres personnes dans d’autres villes. »